201803.28
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Co-publication avec le professeur Jacques Berlinerblau dans la revue Secularism and Nonreligion !

Pascale Fournier et Jacques Berlinerblau cosignent un article inédit dans la revue Secularism and Nonreligion intitulé « Reframing Secularist Premises : Divorce Among Traditionalist Muslim and Jewish Women within the Secular State ». Cette publication s’inscrit dans la continuité de la collaboration entre les deux chercheurs : ils avaient en effet eu l’occasion de contribuer ensemble, en 2014, à la rédaction de l’ouvrage « Secularism on the Edge : Rethinking Church-State Relations in the United States, France and Israel ».

Cette fois-ci, les deux auteurs s’intéressent à la question du divorce tel que vécu et négocié par les femmes religieuses dans les États laïques. Plus précisément, les auteurs confrontent les principales théories développées sur la laïcité, telle celle de George Jacob Holyoake et plus généralement, celles provenant du courant post-foucaldien, au vécu rapporté par des femmes musulmanes et juives. Sur la base d’entretiens réalisés au Canada, en France, en Allemagne et au Royaume-Uni, les auteurs nous poussent à remettre en question plusieurs hypothèses qui sous-tendent ces approches théoriques. En effet, une étude plus approfondie des données empiriques recueillies sur le terrain permet de démystifier trois croyances dominantes.

La première suggère que les femmes religieuses sont victimes du patriarcat lorsqu’elles interagissent avec la sphère privée religieuse et la sphère publique laïque et que ce statut engendre une absence d’agentivité. Toutefois, cette hypothèse est démentie par l’étude des deux chercheurs puisqu’il appert que les femmes rencontrées font des choix actifs quant au rejet ou à l’adoption de normes religieuses. En d’autres mots, les femmes religieuses font preuve d’un pouvoir de création et d’interprétation du droit contrairement à ce que laissent sous-entendre les théoriciens de la laïcité politique.

La deuxième prévoit que les femmes religieuses pourraient difficilement critiquer leurs propres traditions religieuses en raison de relations de pouvoir inégales (MacKinnon 1983). Cette hypothèse est également contredite par les auteurs, car s’il est vrai que ces femmes ne sont pas portées à blâmer leurs malheurs sur la religion ou Dieu, elles se montrent toutefois critiques envers ceux qui pratiquent la religion, tels que leurs maris et les autorités religieuses. D’ailleurs, certaines participantes se sont même plaintes de la perception culturelle entourant le divorce et plus précisément, de la honte que celle-ci entraine sur la femme divorcée et sa famille. Pour reprendre les mots d’une femme à ce sujet : « Ninety percent of the time, it is considered to be the Woman’s fault. Even when people know the details, there is an expectation that the woman should have given in, done more, conformed, changed herself. I find that to be very cruel to women. […] ».

Une troisième croyance, qui semble être désuète, est celle liée au dilemme de la « double navigation ». Selon cette hypothèse, les femmes religieuses sont prises au piège entre les sphères publiques laïques et privées religieuses et ont peu de marge de manœuvre dans ce système dualiste. Cependant, l’étude de terrain confirme que la présence d’institutions laïques parallèles a pour effet d’accorder un certain levier de pouvoir aux femmes lors de la négociation du mariage et divorce religieux. Dans un cas, par exemple, certaines participantes juives en Angleterre avaient invoqué une loi sur le divorce connue sous le nom de The Divorce (Religious Marriages) Act 2002. Cette loi, dont l’inspiration législative a été l’article 21.1 de la loi sur le divorce, fait référence au divorce religieux et vise à régler le problème de l’agunah (ou « femme enchaînée) en offrant aux tribunaux civils des moyens de faire pression sur le mari pour qu’il accorde le get (divorce religieux) lors d’une suspension de la procédure de divorce civil (Douglas et al., 2012).

Ainsi, nous constatons que les femmes religieuses naviguent tantôt sur le plan religieux, tantôt sur le plan laïc en empruntant les meilleures pratiques des deux systèmes, et ce, afin de maximiser leurs gains et ceux de leurs enfants (Woodhead 2008 a ; Fournier 2012). Bien que cette conclusion ne s’accorde pas nécessairement avec la théorie post-foucaldienne, elle ne vient pas l’annuler pour autant. Au contraire, l’article des auteurs est un appel à la prudence lors de l’évaluation des bienfondés de politiques et projets exclusivement laïques (Voir Burns 2013). Enfin, les auteurs démontrent que si nous tenons compte du rôle des femmes religieuses dans la réinterprétation doctrinale et la réappropriation des règles religieuses, nous pourrons améliorer la situation des femmes religieuses et ouvrir la voie à une éventuelle réforme du droit qui tient compte des multiples interactions entre les sphères laïques et religieuses.