202408.12
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“Droits humains comparés : une perspective terrain” Lier l’académique au terrain pour former des acteurs engagés.”Droits humains comparés : une perspective terrain”

Introduction

Le cours “Droits humains comparés : une perspective terrain” a offert aux étudiant.e.s une opportunité inédite d’observer les mécanismes de mise en œuvre des droits humains depuis les hautes instances des Nations Unies à Genève.

Les étudiant.e.s ont pris part, au Palais des Nations, à des séances de révision des rapports étatiques de l’ONU devant un organe de traité (CEDAW) : ils ont participé du 13 au 17 mai 2024 à la 88e session de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) concernant la République de Corée, Singapour, le Monténégro et l’Estonie.

Ils ont également participé à plusieurs rencontres avec des experts des Nations Unies en lien avec les mécanismes de mise en œuvre des droits humains, tels des représentants de comités spéciaux et d’organes de traités de l’ONU, des diplomates, des ONGs, etc. organisées par le Haut-Commissariat des Nations-Unies aux droits de l’homme (HCDH). Les étudiant.e.s de l’Université d’Ottawa ont aussi été formés sur les enjeux récents des dynamiques contradictoires entre religion, genre et droits, notamment dans le cadre onusien de la Foi pour les Droits (Faith4Rights).

Les étudiant.e.s ont réalisé cette découverte de l’ONU en prenant part à un projet créatif de démocratisation du savoir élaboré par leur soin en lien avec leurs observations recueillies aux Nations Unies et dont ils effectueront une présentation devant le grand public à leur retour à Ottawa. 

Ce cours, basé sur l’apprentissage expérientiel, examinait comment les connaissances et les principes des droits humains de l’ONU peuvent être intégrés et transmis dans les sociétés, notamment à travers le rôle des étudiant.e.s et des institutions académiques.

I. Des efforts mondiaux et régionaux en faveur des droits des femmes observés durant la semaine aux Nations Unies

La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) constitue un cadre universel pour la protection des droits des femmes. 

Comme nous l’a expliqué Esther Eghobamien-Mshelia, vice-présidente et membre du Comité de la CEDAW (organe de traité), l’application et l’interprétation de cette Convention peuvent varier d’un état partie à l’autre. Le Comité de la CEDAW joue alors un rôle crucial en identifiant les disparités entre le droit national et international et en formulant des recommandations pour harmoniser ces différences. Le travail du Comité est d’orienter les états membres vers un meilleur ajustement aux standards de la Convention.

Le Comité et l’état membre concerné entrent dans un dialogue constructif concernant les problématiques pointées par les rapporteurs afin que l’adhésion aux normes internationales soit renforcée. Les étudiant.e.s de l’université d’Ottawa ont pu observer ces dialogues en assistant à la 88e session de la CEDAW.

Lors d’une rencontre avec Vincent Ploton, ancien directeur du développement et de la défense des intérêts des organes de traités (Service international pour les droits de l’Homme), les étudiants en ont appris davantage sur le fonctionnement des organes de traités de l’ONU et sur leur impact dans la vie quotidienne des citoyens à travers le monde. Des exemples concrets, comme l’impact de la CEDAW sur le droit des femmes à conserver leur nom de naissance après le mariage, ont été utilisés pour illustrer ce point. Ces discussions ont aidé les étudiants à comprendre la portée et l’importance des normes internationales qui régissent nos vies.

Une partie du cours a été dédiée à l’interaction entre les Nations Unies et les organisations non-gouvernementales (ONGs). Les étudiant.e.s ont été intéressés par le rôle des ONGs dans les comités de l’ONU ainsi que par la manière dont elles influencent les réserves que les pays peuvent avoir par rapport aux conventions telles que la CEDAW. Ces interactions ont démontré comment les intérêts de la société civile sont représentés et défendus sur la scène internationale, contribuant ainsi à une meilleure protection des droits des femmes et des minorités. Les ONGs jouent en effet un rôle important dans l’implémentation et la promotion des droits humains. 

La délégation de l’université d’Ottawa a aussi eu l’opportunité d’échanger avec le Dr. Michael Wiener ainsi qu’avec Madame Britta Nicolmann (Human Rights Officer) et Madame Lyn Eid (Human Rights Officer) sur les initiatives régionales, telles que celles menées dans la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord), et qui montrent l’importance de travailler avec les acteurs locaux pour surmonter les défis spécifiques à chaque région. Le travail avec les leaders religieux et les partenariats avec des universités pour créer des programmes sur le droit des femmes sont des exemples concrets de cet engagement. Par exemple, le diplôme sur le cadre onusien Faith4Rights lancé à Beyrouth en décembre 2023 est une initiative pionnière qui vise à former des intellectuels et des praticiens sur l’intersection entre foi et droits humains.

L’utilisation du soft law comme outil rapide et efficace pour négocier le droit dans ce domaine a également été abordé. La diplomatie des droits humains, discutée par des experts tels que le Dr. Michael Wiener, a révélé comment des compromis sont souvent nécessaires pour protéger les communautés tout en respectant la liberté d’expression, même dans des contextes délicats comme le discours religieux ou sur tout type de foi.

Lors des rencontres avec les experts du cadre de travail Faith4Rights élaboré par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme, la tension entre la liberté de religion et les droits humains a été abordée, en se concentrant sur la nécessité de trouver un équilibre respectueux qui permette à la société d’être inclusive. Le rôle des leaders religieux dans la réconciliation des textes sacrés avec les droits humains a été un point évoqué pour penser la question des droits des femmes et leur place dans la société.

Les droits des femmes dans la région MENA sont, en effet, entravés par des législations et des pratiques culturelles et religieuses profondément ancrées. Les restrictions imposées aux femmes, comme l’interdiction de conduire ou de voter dans certains endroits, et l’absence d’un âge légal minimum pour le mariage, montrent l’ampleur des défis encore à surmonter. Nous avons appris que l’ONU et ses agences, en particulier l’OHCHR, ont initié plusieurs programmes visant à aborder ces questions par le biais de conférences régionales et de partenariats avec des institutions éducatives pour influencer les normes sociétales et promouvoir l’égalité des genres à travers l’éducation et le dialogue politique.

Le concept d’apprentissage peer-to-peer est mis en avant par le cadre Faith4Rights pour souligner l’importance de l’échange sans hiérarchie. Ce mode d’apprentissage est particulièrement pertinent dans le cadre de la promotion des droits humains et de la coopération académique, comme le montre l’exemple de l’université de la Paix et ses programmes sur les religions et cultures. La Déclaration de Beyrouth encourage également ce type d’échange pour améliorer la compréhension mutuelle et la coopération entre différents acteurs.

La question du droit des femmes a ensuite été discutée sous un angle canadien lors du dialogue entre les étudiants et Madame Krystyna Wojnarowicz (Première Secrétaire aux Droits de l’Homme, Mission du Canada auprès de l’ONU à Genève). Le Canada se distingue comme leader dans la promotion des droits des femmes, notamment en ayant adopté, depuis 2017, une politique féministe qui met l’accent sur l’autonomisation des femmes et des filles et la protection des groupes marginalisés. À l’échelle internationale, le Canada est très actif dans les comités de l’ONU et contribue significativement aux résolutions qui avancent les droits humains dans ces domaines. Cependant, le pays fait tout de même face à des défis, notamment la montée de groupes anti-genres et extrémistes qui tentent de bloquer les progrès à ce niveau.

Il découle de ces différentes observations que les efforts continus pour améliorer les droits des femmes à travers le monde montrent un paysage complexe de progrès, de défis et de résistances. Les discussions et les initiatives révélées par ce cours sur le terrain à l’ONU démontrent l’importance de la coopération internationale, du dialogue interculturel, et de l’éducation dans la lutte contre les inégalités et la promotion des droits humains. Malgré les obstacles, l’engagement de multiples acteurs sur la scène mondiale, y compris des nations progressistes comme le Canada, continue de jouer un rôle crucial dans l’avancement de ces causes essentielles.

II. Le rôle des étudiant.e.s dans la transformation sociale

La transformation sociale dans le domaine des droits humains nécessite une sensibilisation aux enjeux mondiaux, une compréhension approfondie des dynamiques globales et locales, ainsi qu’une capacité à naviguer entre théorie et pratique. En adoptant une approche proactive et en s’engageant activement sur le terrain, les étudiant.e.s peuvent véritablement faire une différence significative dans la promotion et la protection des droits humains.

Ils ont eu l’opportunité de capturer des images et de documenter les contenus des rencontres directement depuis le terrain. Ils ont découvert le caractère nécessaire de documenter les processus et les interactions pour pouvoir les analyser et les utiliser dans des contextes futurs, que ce soit pour des recherches, des rapports ou des présentations.

Cette expérience aux Nations Unies a souligné l’importance des étudiants comme courroies de transmission de la connaissance vers la société. Leur rôle dans cette expérience ne s’est pas limité à de l’apprentissage passif. Au contraire, ils ont été invités à participer activement à des dialogues, à des conférences et à des sessions réelles des comités de l’ONU. Ils ont eu l’occasion de développer leur voix et d’affirmer leur position sur des sujets importants ainsi que de questionner les normes établies. Cette participation active a renforcé leur capacité à créer des initiatives centrées sur les droits humains dès le stade de leur formation au baccalauréat. L’objectif est qu’ils puissent transmettre et appliquer les connaissances acquises dans des contextes réels et souvent compliqués. Les discussions auxquelles nous avons pris part ont en effet souligné la nécessité de transformer les théories des droits humains en actions concrètes. 

Les étudiant.e.s ont été encouragés à innover dans leur approche des droits humains : que ce soit par le biais de nouvelles méthodologies de recherche ou par l’adoption de technologies numériques pour le partage de connaissance, ils apprennent à utiliser des outils modernes pour maximiser l’impact de leur travail. L’innovation à laquelle ils prennent part est non seulement un moyen d’efficacité mais aussi une nécessité dans un monde en constante évolution.

Notre présence physique dans l’enceinte de l’ONU nous a également permis de constater l’importance de la création de réseaux et de la collaboration entre étudiants, experts, et diplomates. Les interactions avec des personnalités comme Lyn Eid de l’OHCHR, Philippe Jaffé du Comité sur les Droits de l’Enfant, Krystyna Wojnarowicz de la Mission du Canada auprès de l’ONU ou de diplomates comme le Dr. Cisse Yacouba, ambassadeur de la Côté d’Ivoire et membre de la Commission de Droit international des Nations Unies (alumni de l’université d’Ottawa), ont permis aux étudiants de tisser des liens précieux qui pourront soutenir leurs futures carrières et renforcer leurs initiatives de transformation sociale. 

La formation dont nos étudiants ont bénéficié à l’ONU leur a donné une perspective unique et les a outillés avec des compétences qui transcendent le cadre académique pour toucher à la gouvernance globale, la diplomatie, le partage de connaissance et le plaidoyer social. Nos étudiant.e.s sont prêts et prêtes à mobiliser les compétences, les connaissances et les réseaux qu’ils ont développés pour influencer positivement les politiques et pratiques à l’échelle régionale et internationale. Leur engagement actif et leur formation continue sont essentiels pour assurer la promotion et la protection des droits humains dans les années à venir.

III. Les projets de démocratisation du savoir

La créativité et l’innovation ont été stimulées chez les étudiant.e.s durant la semaine à Genève ainsi qu’à leur retour au Canada afin que les retombées de leurs apprentissages engendrent un impact dans la société. L’objectif était, en effet, que la connaissance accumulée par le biais de leurs expériences ne soit pas vouée à rester au niveau de l’université et des Nations Unies. Au contraire, les étudiant.e.s ont été encouragés à devenir acteurs du changement social dans le domaine des droits humains en partageant, répandant et rendant accessible ce qu’ils ont eu le privilège de découvrir. 

Les étudiant.e.s ont laissé libre court à leur créativité et à leur entreprenariat en mettant sur pied des projets diversifiés allant du lancement du balado « Legally Right »  (accessible ici (+ Instagram et site web) ainsi que d’un film, à la présentation de conférences auprès de l’armée canadienne, du gouvernement et d’ONG, en passant par la création d’un jeu de société sur l’ONU, l’élaboration du projet « Sauti » qui promeut les droits des femmes et des enfants dans des contextes de conflits armés (site de Sauti), la rédaction d’un fascicule sur les droits de la personne distribué à des groupes-cibles (« L’ABC des droits de la personne » accessible ici), des interventions dans des écoles primaires et secondaires, la participation dans des groupes de soutien et la rédaction d’articles (scientifiques et de presse). Nos vingt-quatre étudiant.e.s se sont surpassés pour faire résonner leur apprentissage sur les droits humains au-delà des murs de l’Université d’Ottawa. 

Conclusion

Le cours “Droits humains comparés : une perspective terrain” a été autant un cours de droit qu’une opportunité de découverte et de développement du leadership par l’expérience vécue. Les étudiant.e.s ont eu l’occasion de s’interroger sur le rôle qu’ils veulent prendre dans la transformation sociale, sur la conversation à laquelle ils veulent prendre part, ainsi que sur la manière d’être au monde qu’ils veulent adopter en tant que personnes et en tant que professionnels du droit.  

L’objectif fondamental de ce cours était que les étudiant.e.s s’enrichissent de connaissance grâce à l’expérience exceptionnelle qu’ils ont vécu aux Nations Unies et qu’ils puissent, ensuite, disséminer cette connaissance à différentes audiences. La volonté est celle de redistribuer la connaissance accumulée durant une semaine à l’ONU pour en faire profiter le plus grand nombre. 

Le cours a offert une vision enrichissante de la manière dont les droits humains sont enseignés, mobilisés, négociés, et appliqués à travers le monde. L’engagement des étudiant.e.s avec ces perspectives a mis en lumière l’importance de la formation des futurs acteurs qui façonneront les politiques de droits humains au niveau global. Car, en effet, comme l’a souligné la professeure Pascale Fournier “quand on parle de droits humains, on parle d’êtres humains“. 

Les discussions menées durant la semaine aux Nations Unies ont montré que le chemin vers une “société des droits humains” nécessite une collaboration continue entre le monde académique, les praticiens, et les organisations internationales. En intégrant les enseignements de ce passage à l’ONU, nos étudiants ont des outils pour mieux naviguer dans les complexités du monde moderne et travailler efficacement pour un avenir plus équitable et inclusif. 

Comme l’a mentionné le Dr. Ibrahim Salama, Chef du Service des traités relatifs aux Droits de l’Homme aux Nations Unies, “une source renouvelable de regards neufs sur le sujet est nécessaire“. Dans cette perspective, la création de ponts, le partage d’expérience et de connaissance, la formation pluridisciplinaire ainsi que l’apprentissage expérientiel sont des voies prometteuses pour former des acteurs engagés et dévoués à la défense universelle et concrète des droits humains.